
Le bleu est entré dans ma chambre par la fenêtre. Je ne me souviens plus si c’est moi qui l’avais laissée ouverte. Le ciel est entré dans la chambre, s’est installé à ma table et m’a regardé de son œil étrange et presque transparent comme celui d’un cyclope. Et puis, le bleu a rempli l’espace suspendant dans leurs vols, mes actes, les objets, les passants dans la rue, la ville et ses chemins.
Le bleu soulignait somptueusement la vie d’un seul trait. Comme une ombre, comme l’ombre d’une aile. Le bleu comme un oiseau portait le ciel vers le soleil.
Bleu nuit. Bleu outremer.
La couleur pénétrait toutes les couches de ma vie. Rêves et réalités se baignaient dans les mêmes teintes à peine distinctes les unes des autres. La vie ressemblait à un seul flot mu par la volonté de se révéler discrètement sensible.
Bleu, invisible à l’œil nu. Bleu comme la sève qui me sert depuis que je suis toute petite pour écrire, bleu pour faire entendre ma voix ou la laisser se perdre, bleu pour soutenir mes silences, camoufler mes solitudes, bleu pour me déclarer la guerre. Bleu comme une chair semblable à celle de la mer. Ou d’un lac enfui dans le nombril d’une montagne.
Le bleu est entré dans ma tête par la fenêtre ouverte de la chambre. Il est entré sans attendre. Éblouissant, onctueux. Le bleu m’a possédée un moment tout en sachant qu’il n’a pas de consistance et qu’il n’existe que très faiblement. Il est évaporation, onde, mouvement de l’esprit et de l’âme, pigment éphémère. Le bleu est entré comme une femme, paré d’une beauté incontrôlable et totale. Si près d’être réduits en poudre, le bleu et moi. Cette couleur me suis-je dit, me comprend.