Sur le chemin, les cailloux résonnent en s’entrechoquant et l’écho qui m’est renvoyé par les rochers de la colline me font croire que je suis un cheval. Mes jambes si fines comme des brindilles sont habituées à ce genre de terrains difficiles, abrupts et sauvages. Je considère que le cavalier imaginaire qui me guide fait partie de moi-même. Je suis le chemin jusqu’à ce qu’il s’ouvre sur le maquis et sur la mer. Le ciel est ma robe, d’un gris bleuté où les nuages blancs dessinent des pommes.
La voie serpente maintenant entre les plantes odorantes. Sur chaque feuille verte le chant d’un oiseau se réverbère. La nature est tout sauf muette. Ici, le vent et la mer dans leurs jeux d’amoureux sculptent les chevelures des buissons, les branches des arbres comme les cheveux d’une sorcière. Les rochers millénaires ont reçu des yeux et des larmes pour aimer la mer, des bouches pour goûter ses chagrins.
Le sang qui circule du plus profond de moi jusqu’à la surface de ma peau pour me faire frémir a moins de force que la sève qui perle langoureusement dans les cœurs minuscules des fleurs. Un ruisseau trouve de l’or entre les racines, les lichens. Je suis son chant.
Ma promenade serait aléatoire car je marche sans savoir. Les questions bourdonnent, les réponses sont vagues. Parfois, ivre, un sentiment de liberté cède sa place à une vaste humilité sablonneuse. Que suis-je si ce n’est un étranger qui éternellement voyage sans comprendre ce qui meut l’existence de toutes choses ? Personne à qui montrer la beauté réelle que je croise ici sans être capable d’en apprivoiser les phrases.
Tout serait dans les baies qu’arborent fièrement les végétaux en cette saison. Et demain ? Les yeux avertis des oiseaux mangeront les rubis, les diamants, les jades et partageront les saveurs en se déposant comme des perles sur l’horizon. À cet endroit précis du ciel d’où naissent les vagues à la manière des mammifères marins ou des oursins. Lequel d’entre-nous s’accroche le plus à la vie et à ce qu’elle a de plus serein?
Je marche, mes pas sont ceux d’une danseuse étoile. Ma fougue est mon âme. À l’instar de ces promenades dont je ne veux connaître ni le but, ni l’espoir, ma volonté partage le temps en étapes pendant lesquelles je me nourris et je contemple les plus simples formes de l’éternité. Je suis un cheval. Au loin, les orages dévorent le ciel. Au loin, le soleil tisse sa toile. Après mon passage, tout restera intact, les galets et les cailloux te parleront de mes sabots et de mon pas.