Caravelle

« Clearing » by Holly Grace (Sand Carved)

Quand je contemple mon existence, dans chacun de ses épisodes,

il me semble ne plus apercevoir que les structures produites par mon esprit en se servant d’un langage.

Il ne reste parfois que des squelettes dénudés de réalité. Ils se rassemblent pour former des essaims,

l’insecte est une phrase qui tremble sur son socle. Ils coagulent en dessinant des paysages où la lumière serait produite par le vide

entre les feuillages et par tout ce qui ne se dit pas dans les phrases.

Les structures imaginées se dressent comme des temples de dentelles, des forêts sacralisées ou des tombes muettes.

Elles tissent l’espace avec le fil perdu d’une histoire.

Les voiles d’une étrange et fugitive caravelle s’enflent ou s’enfoncent dans les profondeurs suaves du silence.

Un océan semble meubler la langue de fluctuations et débordements, les mots n’en seraient que l’écume ou les arêtes que laissent les vagues sur les plages ayant mis bas l’une ou l’autre marée sauvage.

Le langage est une échelle, une plante grimpante hallucinée. Où trouvera-t-elle la place pour nidifier d’une façon stable?

J’aimerais qu’on puisse boire à toutes les phrases en ne se servant que de son âme et révéler

au passant comment et pourquoi des ombres froides collent aux mots quand ils sont bercés par les traces et les images du passé.

Je voudrais qu’on puisse éprouver cette fraîcheur incomparable qui désigne à tout ce qui vit que quelque part on meurt aussi.

J’aimerais qu’on puisse voir leurs écarts se frayer une route parmi les dogmes inculqués par la peur. Il me faudrait toujours garder comme un bouquet de fleurs, juste en dessous du cœur, le doute et ses faibles clameurs.

Les mots ne vivent pas pour qu’on les broute, ne marchent pas en cohortes domestiquées, qu’en impitoyable jardinier au profit d’une seule et unique vérité, on charcute .