Lorsque je ferme les yeux pour chercher le sommeil, s’installe en moi peu à peu ce que j’appellerais un jardin. La végétation comme une histoire qui s’écrit, s’efface et puis recommence, gagne tout mon espace intérieur. Branches et traits d’encre se mélangent jusqu’à devenir une vaste chevelure emmêlée et incompréhensible.
Pourtant rien de tout cela ne semble m’effrayer, je pourrais presque croire que je rêve et que je finirai par en tirer quelques phrases pour la raconter. Des mots pris par le rythme d’images qui se déploient en corolles, en buissons frissonnants, en forêts foudroyées par des lueurs lunaires blanches et argentées.
Je poursuis mille ondulations, mille voies serpentantes avec l’extrême sensation de chercher le hameçon à mordre, à avaler pour être sorti d’un seul geste puissant de ce foisonnement infini. Avoir enfin la vue surplombant le jardin. Avoir enfin la certitude de pouvoir traduire autrement qu’en images fades la vie intérieure luxuriante, riche, évanescente que je vis. Trouver les moyens de faire taire les messages qui contredisent qu’elle seule a valeur de réalité.
Je ne suis pas qu’un rêveur. Impassible, muet de ce qui lui arrive, ne trouvant que les phrases qui échouent au lieu de celles qui toujours restent vagues au large, émettant les multiples signaux scintillants de ce qui a pour mon regard véritablement un sens. Je ne suis pas que celui qui contemple la vie comme si elle était le jeu auquel il ne peut participer parce qu’il n’en connaît pas les règles ou parce qu’il n’a pas les bonnes cartes ou que le hasard n’a pas désigné comme vainqueur, comme dupé, comme tricheur.
Lorsque j’ouvre les yeux, je sais que peu à peu ce jardin se recouvre d’une étoffe noire et visqueuse. Le quotidien fait tache. La nuit qui cache les branches, les feuilles, les bourgeons, les tentatives d’exploration gagne chaque clairière, chaque sente qui me menait à un mot. Ma vie intérieure porte un vêtement fait de pétales et de feuilles défaites, d’ombres, doux comme les mousses qui courent sur les faces des troncs qui ne voient presque pas le soleil.
Photographies: Dark abstract composition of two torsos covered with branches,
Brussels, September 2015
Bertrand Vanden Elsacker
BVDE
Surprenant, textes comme photos !