
Les poèmes sont les points d’ancrage d’une escalade dont tu ne mesures plus vraiment les aboutissants extrêmes. Ils sont là pour exiger de toi que tu te dépasses. Au fond de toi, quelque chose te permet d’apercevoir l’immense bloc, ses parois raides et infranchissables qu’est ta vie. Elle n’est pas vraiment prête à te faire des cadeaux. Qu’est-ce qu’il se trame? On dirait parfois qu’une étoile te parle.
Les poèmes sont là pour te rattraper en cas de chute mais il viendra ce jour où eux non plus ne te permettront plus de tenir le coup.
Les poèmes à chaque angle de rue, à chaque creux de vague, à chaque plongée dans le noir. Les poèmes dont on dit qu’ils ne servent à rien si ce n’est à te ravir à la réalité. Les poèmes comme les brindilles qui attisent l’incendie meurtrier, illuminent brièvement ta conscience sans jamais te fournir la réponse qui servirait de baume apaisant à tes lectures hallucinées du monde.
Les poèmes te réveillent toutes les nuits en te parlant comme le font les rêves. Rien ne te paraît plus réel alors que tu te réveilles, écriture insoumise dans l’oreille et gribouillage illisible sur les premières pages de tes souvenirs. Les mots tournent en rond. Combien de fois, ne t’es-tu senti plus bourru qu’un âne. Ta voix ressemble à celle d’une pierre sur la route, d’un galet au fond d’un puits.
Les poèmes te laissent entendre que tu n’es qu’un lieu de passage. La poussière des voyages t’enveloppe de leurs nuages mais tu te tiens debout. D’une main tremblante, tu tentes de tremper la pointe de ton pinceau dans l’encre noire, de marquer les pages comme du bétail. Ton humeur est si souvent sauvage et froide comme fusain, suie, sueur froide de l’incendie. Tu es cette larme extrême d’une mort. D’une absence qui se condense en ces poèmes hirsutes. Tu es l’étrange fantôme qu’ils promènent d’un vers à un autre.
Les poèmes servent de port à ceux que tu aimes. En partance, des parties de toi-même tendent leurs voiles. Bateaux de papier accrochés à l’horizon, les poèmes te rendent la vie un petit peu plus facile à digérer. Se pourrait-il que quelqu’un malgré tout les aime ?
Surement que des lecteurs aiment ces belles pages !