
Bertrand Vanden Elsacker
En deçà de chaque regard, il y a un jardin comme ceux que l’on rencontre au cœur des péristyles. Il est censé réunir nos parts d’ombres en un seul endroit de lumière.
Mon jardin est minuscule. Sa croissance semble n’avoir qu’à peine commencé. Ma vie me fait l’effet d’un escargot, gluante et lente à progresser, elle laisse derrière elle des trainées de larmes desséchées. Pourtant, aussi petits que soient les végétaux, ils sont à la pointe de ce que l’on peut dessiner ou peindre. Ils jouissent de couleurs chatoyantes accordées comme les lyres et les harpes. Un vert croquant répond à une rose vaporeuse . Un violent violet côtoie les jaunes acidulés de citrons à peine mûrs.
Aux bruits des insectes et des autres animaux s’opposent les secondes de silence des choses inanimées. Les parfums ne cessent jamais d’élaborer de nouvelles perspectives à cette forme de liberté que sont l’imagination et la faculté d’éparpiller joyeusement ses souvenirs. Malgré le calme apparent, mon jardin miniature vit intensément. Le gravier y a la sagesse du rocher millénaire. Sa pertinence, il l’emprunte à la graine portée par les vents.

Bertrand Vanden Elsacker
La blancheur nacrée des fleurs qui naissent et meurent partage le même l’élan vital avec la montagne alors qu’elle répandait sa lave comme un langage jusqu’à frôler les jupons salés de la mer. Quel coup de fouet de maître que ses sources fossilisées ! Elles reflètent sans varier des couleurs dont les noms sont depuis longtemps oubliés.
Mon jardin miniature n’est qu’une des ailes les plus sacrées d’un autre jardin ayant plus forte allure. Un jardin dont je ne mesure pas toutes les conséquences et qui échappe à toutes les formes de censures dictées par mon esprit et ma raison. Une route asphaltée noire et brûlante marque la fin de l’ombre, la fin des frissons frais qui chantent d’entre les roseaux effilés pour la danse et dressés pour le chant comme de petits oiseaux. Les lauriers roses se défont secrètement des poisons du soleil en guidant le plus loin possible leurs énormes racines , un muret remplit de failles sert de refuge aux lézards. L’air semble être le souffle ultime des légumes et des fruits ayant atteint ce moment de la vie où on les récolte et les garde à l’ombre, à moins que ce soit le cris d’une révolte.

Bertrand Vanden Elsacker
Derrière le regard que je porte, derrière l’atmosphère azurée d’un astre aussi dense que les trous noirs, un univers miniature taillé dans le jade pour son opalescence et la sagesse qu’il inspire à ses protecteurs. Un jardin brodé avec patience dans l’acajou ou dans les étoffes qui imitent les rougeurs du jour quand il meurt. Comme il m’est de plus en plus difficile de faire porter à mon jardin le masque de mon visage et l’armure de mon corps.
« Sa pertinence, il l’emprunte ressemble à la graine portée par les vents. »
La phrase est bizarre ?…
le même l’élan vital : bizarre aussi ?
Mais très joli jardin en dépit de ces deux herbes folles !!