Illusoire

C’est un jardin qui n’existe pas

ailleurs que dans ma fantaisie

hissée de soie

en cristal

la haie est la bordure de mon monde

dehors

au-delà

tout est hors de portée de mes doigts je n’y touche pas

c’est un jardin où les fleurs sont des broderies de couleurs

comme les principes elles durent

jusqu’à ce qu’on les abuse

c’est un jardin qui reste muet et insensible à la grossièreté

disciplinée

les herbes sauvages prennent la place

centrale

il prendrait toute une vie

si on la lui donnait

Mais que donne-t-on aux jardins

si ce n’est toutes nos parts

de néant

mon jardin ne prend pas

d’importance

il laisse pétiller les aiguilles des pins dans le vent

tourmente les torrents et ses éclats

froissent amoureusement les feuillages

étoffes verdoyantes jetées dans les bras des arbres

et des sentiers

mon jardin déride la mer en lui offrant un parfum

en lui donnant la main

il devient soudain subversif

et clairvoyant

la mer lui fait prendre le large

mon jardin est un fantôme qui ne porte

que les verts

jusque dans la transparence

α ι ́ ν ι γ μ α

Si l’on devait retenir mon souffle, il s’enroulerait sur lui-même, il bourgeonnerait de pudeur. Se résumerait peut-être à une lueur tiède. Il serait cet ondoiement de mots dans le vent, ces colliers de phrases déposés sur les plages. Il serait les versants émoussés de nos âmes.

À force d’effleurements, les branches des arbres, les falaises arides, les épanchements lugubres des rochers dans mon cœur deviendraient des torrents de flammes, des tourbillonnements d’étoiles, le friable frissonnement du velours. Les forêts seraient enfin vouées à ta folie libérée et ton regard s’y promènerait comme un chat. Tu me verrais dans la nuit.

Si l’on devait résumer le cours de ma vie, il ne serait pas ruisseau mais sable fuyant. Graines et semences. Il ne serait pas racine ou noyau mais feuille et sépale. Il ne serait pas nœud mais coulée de sève soyeuse, veine boréale, nervure solaire ou algue.

On pourrait se saisir de mes idées, elles feraient corps avec les gestes félins des lianes. Elles porteraient tous les noms de la transparence et de la lucidité. Elles anéantiraient les rigueurs malignes, couperaient court aux rumeurs nauséeuses qui punissent sans savoir l’innocence joyeuse. Les angles perdraient leurs pointes. La ligne ne serait plus l’arme froide du vide.

Tu dormirais dans cet espace apprivoisé par l’orchidée, bercé par une laiteuse lumière. Tu t’éveillerais dans l’un de ces temples qui sanctifient l’exubérance et la volupté.

Tes mots nouvellement nés, taquinés par les doigts joueurs de mes baisers deviendraient turbulences vocales, cris célestes, pure beauté. Ils irradieraient à jamais les profondeurs animales. Tout se déclinerait très simplement au présent.

Hélas, la plupart du temps, on me prend pour ce qui me suit malgré moi. Cette nébuleuse tentaculaire incendie les plus sournoises peurs et me condamne inexorablement à l’errance maladive. Ma plus belle blessure devient une plaie honteuse qu’il me faut toujours cacher pour continuer à errer. Il n’est pas d’aile qu’on puisse me rogner, il n’est pas d’espoir qu’on puisse m’ôter : je suis née sans colonne vertébrale. Je suis venue à la vie comme un spore, comme une vague. Je suis née d’une faille.