Reposoir

Model for Hanging Construction  1950    Naum Gabo  1890-1977

Le silence parfois dispose de mon temps et l’agence à son image. Se rassemblent méticuleusement les objets délicats du souvenir dans cet espace qui leur est quotidiennement dédié. Une pensée en bouton, un bout d’illusion, une myriade de paroles avortées et toutes ces petites choses confuses car elles n’ont pu trouver la force de s’imposer.

Il n’est rien que je regrette, il n’est rien que je voudrais perdre, il n’est rien que je voudrais balancer à la face du monde. Je sais pourtant qu’à chacune de ces parcelles, j’accorde l’image qui m’importe. Elles ne sont pas des îles de poussières, continuellement au bord de la désolation d’où l’on ne s’échappe que pour aboutir dans une nouvelle prison. Chaque bout de silence se creuse un espace blanc qui le préserve. J’attends avec eux les bourgeonnements d’un possible printemps qui me tendrait ses voiles.

Il n’est rien qui me retienne de poser le silence au fond de moi-même comme une source intarissable de pureté, de vague à l’âme. Ce sont ces silences qui remplissent le vide que m’inspirent tellement d’êtres humains. Comment leur parler s’ils n’échangent pas les mêmes mots et qu’ils me sabordent continuellement ?

Dans l’ombre

Autoportrait, Léon Spilliaert

Comme des méduses, la nuit répand ses ombres dans ma chambre. Dans le reflet du miroir, j’ai à me reconnaître à partir de morceaux: un creux à la place de la joue, une demie bouche, un bout du menton, la raie du nez, la maigre plage du front. Ce puzzle de moi-même n’est pas sans me surprendre.

Le jour en disparaissant, a gommé les traits les plus familiers de ma personnalité. Il ne m’a laissé qu’un vague schéma de moi nageant dans une nuit grandissante. Je me regarde sans plus me reconnaître. Je suis étonné de ne plus être vraiment moi et pourtant résigné, presque satisfait de ne plus avoir à résoudre ce dilemme : qui suis-je ?

Je ne me reconnais pas dans cette ombre. Je ne reconnais pas cette soudaine vieillesse. J’entre dans l ‘anonymat comme dans un sommeil. Suffira-t-il que je me réveille pour retrouver ma conscience d’exister ? Le jour fera-t-il à nouveau la lumière sur l’individu que je suis ou permettra-t-il encore à ce spectre de s’installer à ma place et de dicter sa loi?

Je perds la notion des détails, je perds si souvent la face en abandonnant mon attachement à la réalité, en abandonnant la conscience que l’on devrait avoir de soi aux angoisses nocturnes.

Face à la mort, on ne se ressemble plus. Face au sommeil, comme nos peurs sont communes. Il me faut constater que je ne suis pas immuable, enraciné aussi fortement que les autres, que mon cœur n’est qu’un petit bouton décousu d’un veston et qu’il sautille en tombant dans le vide. Je suis un point infirme et égaré. En contemplant la nuit qui progresse, je redécouvre ma défaite, mon emprisonnement et cet éternel renoncement.