Semblance

Screenshot-2017-10-22 Bertrand Els ( hardcorepunkbf) • Photos et vidéos Instagram
Bertand Els©

La nuit s’écoule dans mes veines avec un goût de fleurs. Voilà que le vent hisse ses voiles dans les feuilles. Les arbres de l’avenue deviennent de géantes nacelles. Elles tiennent, elles sombrent, elles remontent de leurs racines la dernière sève avant l’hiver. Vagues les parterres alourdis de feuilles mortes, vagues les trottoirs humides, vagues les bancs, seule comme un courant, la route va vers le large.

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Mon corps désormais s’arme de bras et de jambes impossibles à soulever. Lourds comme une ancre. Pourtant, mon point d’attache ne se situe pas au centre de mon corps, j’auréole avec le vent, je cherche entre les branches presque noires l’espace suffisant pour un dédale. Les cheminements impossibles des mots dans mon cerveau. C’est là parait-il que se logent l’âme, la conscience. Je sens que leur place s’étend dans ce qui tétanise ma chair, la masse méconnaissable qui gravit autour des os, qui s’agglutine autour des réseaux libres de l’idée que j’ai de moi-même.

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La nuit ronronne comme un félin solitaire qui rode obscur. Déjà, il est loin. Invisible. Je cherche ce qui correspondrait à une empreinte, le signe de ce qui furtivement n’existe que par la trace olfactive que laisse un souvenir. Je sais au fond qu’il n’est rien en moi et de ce qui naît à ma portée qui vaille que je les traduise.

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La nuit finit en queue de poisson. Je ne suis pas certain que ce qui se présente autour du soleil et entre chez moi soit bien ce qu’on appelle: « Jour ».

88

brussels, belgium. waffles, chocolate, beer and much more!
brussels, belgium. waffles, chocolate, beer and much more!

L’eau du canal tremble, j’entends les milliers de petites vagues miauler quand elles font leur entrée dans le ciel gris et velouté. Les péniches et les grues, les immeubles en construction et ceux que l’on détruit, la cimenterie et le cimetière pour la ferraille bien évidemment ne les entendent pas.

Le bus 88 passe sur le pont où l’on ne s’arrête pas, emprunte la route où quelques vieux arbres malades attendent qu’on les abatte. Soudain, comme une apparition, elle s’assied à côté de moi.

Son visage lisse et sa chevelure noire cachée par un foulard, elle me regarde, elle me parle, il lui semble que je sois malade mais ce sont ses yeux qui brillent comme quand on a de la fièvre.

Elle croit que je suis triste et pauvre mais c’est de sa pupille que glissent en silence des larmes. Elle dit un peu fort que je suis belle et que j’ai tort d’avoir peur de moi et d’elle.

Elle me murmure qu’elle vient de voir son bébé et ses sept autres enfants et qu’elle n’a plus le droit de les prendre dans les bras. Trois enfants sont nés morts de son ventre qu’elle cache sous une cape ample. Elle ne sait pas écrire, elle ne sait pas lire, on dit d’elle qu’elle est folle, méchante, dangereuse. Peut-être, me dis-je, mais sans doute pas autant que l’homme qui l’a frappée et emprisonnée pendant près de 17 ans.

Le bus 88 passe devant les vitrines chics de magasins fleuris, devant le Grand Théâtre Flamand et par des rues où attendent des putes. Le bus 88 s’arrête dans la citée-modèle pleine d’appartements qui se ressemblent. Il me dépose juste en face de ces bâtiments dessinés par Horta et quand il a atteint le terminus, le bus revient me chercher rempli d’enfants qui ont joué au foot, de vieux qui souffrent en ruminant, de femmes qui parlent comme des poissonnières des petits bobos de leurs chats. Heureusement dans leur cage, les félins se taisent et se contentent comme moi de regarder par la fenêtre un monde étrange qu’ils ne comprennent pas et les maintient en captivité.