
Parfois je prends conscience que ma vie se résume à une forme abstraite, à un mobile qui décrit le vide en tournant autour de son axe. Ma vie est un puzzle au quel il manque toujours une pièce.
Géométrie des souvenirs et de leurs interprétations au fur et à mesure qu’ils m’échappent et prennent le large. Je porte la solitude comme un vêtement. Alors je tente l’ultime exaltation, chose dérisoire : une lettre.
Pour tenter d’ordonner toutes les matières brutes véhiculées par ces portions de vies abandonnées. Une lettre pour répondre aux fragmentations de l’autre dans ses gestes, sa parole, son absence, ses excès. Une lettre pour résumer ma déroute imprécise à quelques mots élus avec soin.
Une lettre pour apprivoiser l’inconnu, contourner une peur. Une lettre pour donner un nom à l’ennemi qui me hait comme si cette distinction allait mettre fin à l’extinction qui menace les faibles.
Une lettre pour masquer l’angoisse intersecte de l’être.
Est-il vraiment possible d’écrire une lettre alors qu’on ne se sent plus la force d’épeler les mots, d’appeler l’autre pour qu’il s’arrête un instant et se raconte ? Une lettre pour s’atteler à la vie, serait-ce encore suffisant ?