Ma main est dans la tienne et seulement ça a de l’importance pour moi. Soudain, la devanture d’un magasin t’arrête, y sont exposées de précieuses quenas, des flûtes de pan. Nous entrons dans le magasin qui n’est autre que celui où j’achetais mes précieux et premiers carnets d’écriture dont aujourd’hui il ne reste plus qu’un.
À la place des papiers, des cahiers, des stylos: des instruments de musique et derrière le comptoir, trois indiens aux traits nobles remplacent la charmante madame de Renoncourt. Ils engagent avec toi une conversation qui vous fait rire tous les quatre, pendant que moi j’ose enfin prendre un instrument dans les mains. La flûte quena est en train de disparaître, il n’en reste plus que la moitié, la partie qui était exposée. Je me demande alors si les indiens ne sont pas les dieux disparus d’une civilisation éteinte.
Comprenant mon désarroi, tu me rassures : « toutes les existences ont une partie secrète, qu’on ne voit pas, il en est ainsi aussi de la lune et de toi et de moi. » Portant l’instrument à la bouche, tu en fais sortir un chant qui n’est ni sombre, ni mélancolique mais profondément lucide, directe, pure et si juste qu’il fait couler une larme sur les visages si bien sculptés des indiens. Mais ta voix n’apaise pas mon cœur car le message qu’elle tend à me faire comprendre est inacceptable : la mort ferait partie de cette face cachée de la vie, comme une racine souterraine. Ainsi disparaissent en musique des pans entiers de l’humanité et avec eux l’espoir fou d’une nouvelle écriture de l’histoire. Comme je ne tiens pas à ce que tu disparaisses oublié, silencieux, froid comme les tombeaux de ces dieux, je pose sur tes lèvres un baiser qui ne finira pas même s’il me coupe le souffle et s’abat entièrement sur moi.