
Je me souviens de tous mes vertiges et de cette fois où mon crâne percuta pour la première fois la route noire et dure d’un été qui de toute façon allait finir par mourir. Du haut de mes huit ans, la certitude de ne devoir jamais plus souffrir. Je me souviens du goût du sang et de l’horrible brûlure au milieu de mon front. Il me fallut quelques minutes pour revenir à la vie, pour revenir de cet état réconfortant et solide à celui déstabilisant de comprendre que l’accident ne s’était pas déroulé dans mon rêve. J’étais bel et bien sur le sol, brisée en je ne sais combien d’éléments. Réussirai-je à reconstruire ce puzzle, celle que j’étais avant?
Je me souviens comme je souffrais d’être vue ainsi par la foule, les murmures et les paroles sans signification me servaient de couverture jusqu’à ce que quelqu’un me recouvre la figure d’un mouchoir et disperse les meutes, les chiens.
Je me souviens de ce contraste entre moi et le sol. Lui si chaud et moi si froide dans les bras de l’hiver. Pourquoi a-t-il fallu que j’assiste à ma propre descente aux enfers, sans faiblir, sans jamais être capable de perdre conscience? Je me souviens du poids de mon corps alors, de la masse de ma chair défaite de moi-même.
Toutes mes fractures sont restées plantées sur la place publique mais personne n’a été capable de voir au-delà. Personne, pas même moi pour sonder la peine.
Depuis, plus rien de précis n’ose me servir de socle, je ne sais comment dire oui à la vie et non à la mort. Des torrents, des mouvances, des terres meubles, des ciels sans îles hantent mes rives. Tout me semble vague et n’avoir aucun sens. Je ne me regarde plus dans aucun miroir persuadée que celle que je regarderai s’est défaite de mon âme.
Il y a une résonnance avec mon propre vécu de chute et comme témoin. La conclusion est aussi très forte et très vraie