
J’ai vu un cortège de paroles blanches à l’état fin et discret de la brume. Ce troupeau d’animaux aux allures magiques ne semblait avoir comme chef d’orchestre distrait que le vent du nord-ouest. Indécis, les violons avaient l’agilité sauvage des gazelles. Les nuages se touchaient, se percutaient, s’échappaient, se fondaient l’un à l’autre comme des amoureux ou se dévoraient entre eux. L’unique mesure était donnée par les bouffées du vent. Il changeait toujours d’idée et faisait défiler des hippocampes géants, des chromosomes et une partie du génome humain.
J’ai vu nager une baleine, j’ai vu la gueule géante d’un chien, j’ai vu la signature d’un peintre s’éteindre, j’ai vu un lippizzan se transformer en fontaine. Tout cela n’avait rien de grotesque ou d’insignifiant, tout cela ne ressemblait pas à une farce mais j’ai soudain compris pourquoi l’on dit que les paroles sont du vent, tant qu’elles nous échappent et que nous n’en faisons rien, le vent et ses complices les effacent et on oublie ainsi des pans entiers de la vie. Tout me semble être perdu si je ne trouve pas le moyen de dompter ce qui se passe vaguement autour de moi avec la même fragilité que celle du rêve. Pour clôturer, la chanson, ces morceaux d’improvisations, le piano s’est mis à pleuvoir.