Marcher. Vous marchez dans la rue mais vous sentez derrière vous, quelqu’un. Quelqu’un qui presse le pas dans les vôtres. Quelqu’un ou bien est-ce quelque chose? Alors pour en être certain, absolument certain, pour en avoir le coeur net, vous changez brutalement de direction.
Les toutes premières secondes vous êtes rassuré, vous pouvez continuer à être. Être comme n’importe quel être. Quelqu’un qui marche dans la rue, sans couteau dans le dos, sans les cris de sa mère ivre dans un couloir, sans les pleures de sa soeur qui ne voit que le noir.
Marcher. Vous marchez en direction de la ville avec quelqu’un qui presse ses pas dans les vôtres. Une ombre. Un spectre. Un cadavre. Vous espérez vous faire à cette idée, apprendre à marcher. Apprendre à marcher sans plus y penser, sans vous sentir coupable d’être. D’être là. D’être là, marchant à contre courant, jamais dans le bon sens. Vous ne voulez pas vraiment voir que pour vous, il n’y en a pas. Il n’existe pas de route qui mène quelque part. Marcher. Marcher.
On vous bouscule, on vous touche. Le bruit des marchands vous mord. La lumière des foules, des troupeaux humains qui ont trouvé un chemin, vous jette du sable dans l’oeil droit. Les gens, les choses, en colonies de fourmis, grignotent déjà le peu de pas que vous avez été capable de ramper parmi eux. Comme eux. Ils trouent par leur grouillement, les phrases que vous gardiez dans votre gorge. « non—-s’il vous plaît—– je vous en prie——laissez-moi ——en paix— ».
Comme une pluie d’insectes, ce ramassis de cris, de grincements, de criaillements, d’appels au secours vous entre par tous les pores de votre peau, vous dévore. Vous perfore, vous décompose.
Marcher. Je voudrais tant marcher. Dans la rue, quelque part. Le chant du vent dans les feuilles ressemble de plus en plus à une litanie dont j’abomine convulsivement toutes les paroles.