Nautile

Nautile scanner 3

Un spectre vit en moi. Comme celui de la lumière, lorsqu’il écarte ses doigts, il colore de ses étranges lueurs tous les éléments de ma vie. Il est tentaculaire et déroutant mais n’a rien d’un fantôme. Il mène une vie de céphalopode paisible dans les profondeurs nacrées et les eaux de velours.  Fragile, il passe son temps à se faire oublier. À marcher en silence, à me parler tout bas.

À chaque mot, il accorde une nuance ou trois, à chaque syllabe une saveur, aux phrases le parfum composite et rare de cette fleur qui n’existe pas. Ne vous étonnez pas qu’il se fâche et gronde aux pieds de vos murs, au fond de vos puits, perdu dans vos dédales crasseux. Tout ce que vous tenez pour noble et gracieux l’ennuie. La bouillie qui dégouline directement de vos cervelles délavées lui donne la nausée : mon dieu ! C’est tout ce que vous aimez ?

Vos modes d’emploi sont des prisons, vos textes des niches pour les chiens errants. Mon spectre n’y reste pas, jamais. Il va et vient sans rien retenir. Il a peur des ombres qui vous nouent les bras, des songes qui mentent et ne tremblent pas.

Le spectre ne rogne rien au plaisir, n’émonde pas le monde. Il a peur de vos points qui catégorisent et trouent les pages, il a peur de vos virgules acérées comme des crocs, de tous les ordres qu’éructent vos refrains. Il a peur des morts qui dorment dans vos phrases et vous dictent si rageusement leur faim.

Le spectre et son petit soupir dorment dans le Oh ! de la pupille, dans la coquille d’un nombril, sur le lit doux du baiser. Si mon ventre se soulève, si mon cœur se met à danser, c’est que mon spectre veut goûter à la brillante rosée qui perle aux bords des idées translucides.