Réminiscence

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Entre les circonvolutions des branches follement habillées d’une lumière étincelante, un lac aux eaux troublées. Dans ses abîmes sombres, des silhouettes, des fantômes dansent. J’aperçois papa, petit garçon en costume de marin, la main posée sur sa jambe malade. Je vois ma grand-mère jeune femme élégante au côté de sa cousine toute aussi charmante. Elles ne portent pas encore sur les lèvres le baiser glacé de la mort.

À la surface du lac, surgissent les cortèges d’un carnaval bien étrange, la lumière fait tache en servant de confetti, un squelette tente de gravir la pente, chemin raide comme le manche du fouet qui punit l’esclave qui ose lever la tête. Faucille du cultivateur, marteau piqueur et pelle du mineur, arme blanche et mitraillette du violeur, une ombre noire et visqueuse menace d’avaler tous les îlots de clarté argentée.

Dans les bras de la forêt, le lac miroite le mouvement lent et sobre de la vie, ses étapes, ses fuites, ses impasses, ses passagers dont il ne reste plus que l’idée qu’ils aient un jour existé. Le lac berceau du spectacle lucide orchestré par la mémoire. Le lac réceptacle caché de ces effroyables secrets qu’on ne parvient plus à dompter. Il semblerait qu’aux arbres à la place des fruits se pendent des larmes comme les grappes brillantes de la pluie.

O

Faceted Ring 2011 Walnut, Epoxy 36″ x 36″ x 1″

Comme une rumeur on te propage, en enfreignant tes vérités. On leur ajoute une opacité, une lourdeur dont ne s’affublent aucune de tes transparences. Ceux qui te regardent trop longtemps deviendraient même des aveugles, des mendiants. Combien n’ont pas péris entre les dents d’une prison, dans les couloirs comme des nœuds des institutions psychiatriques ? On s’habitue si vite à massacrer, à engloutir, à anéantir ceux dont la course est trop légère, qu’on oublie à quoi nous ressemblons.

Tu as beau apparaître comme la lueur d’une évidence, sous les traits simples du pinceau, faire des signes, construire ton propre langage, on te camoufle. Tu as beau signer de ton nom l’éclat des choses, on te traite comme du bétail, comme une terre prostituée. On t’enferme dans la définition qui ne te définit pas. On te laisse errer sans se douter une seconde que ce bruit de fond, le grésillement comme un espoir vagabond n’est autre chose que l’explosion d’une naissance qui ne finira jamais de s’accomplir.

On ne cherche pas à te traduire, on ne marchande que pour te trahir, manger tes horizons, corrompre ta course, dissoudre tes cieux. Parfois, tu te transposes et tu apposes, l’étrange baiser plein de pudeur sur un front, sur une main, sur une feuille de papier. Parfois, tu transgresses les cadres de tes propres lois pour apaiser une amertume, parfois tu transperces le clou qui voulait te fusiller.

Il n’est pas rare qu’on te prenne pour l’expression, la parenthèse d’un sentiment tout à fait ordinaire, vague, diffus, soumis. Tu portes alors aux yeux de tous le masque de la femelle n’attendant plus que le trou de la lance. Il faudrait que tu te mettes à véhiculer des mensonges brumeux, vaseux, corrompus comme si tu n’étais plus qu’une roue. Il faudrait que tu te laisses fondre dans des formes trop étroites et molles dont on te dit qu’elles n’ont été inventées que pour toi. Mais tu n’es pas une phrase, tu ne construis pas comme un rempart. Tu n’es pas qu’un mirage, un rêve boréal, un enchevêtrement de senteurs et de sons, une sueur. Tu n’es pas que l’ombre et la lueur.

Lorsque tu te montres telle que tu es, il n’ y a, à vrai dire, plus aucun mot qui me va.