Somme

L’onctueuse fourrure 

Ondoie selon le rythme de la respiration

Au sommeil 

elle est mer et forêt écume et brume mousse ou corail 

Végétale et animale 

Parfums rassemblés par la poussière portée par 

La lumière 

Quel voyage équivaut à un rêve

Quelles distorsions du temps adviennent pour produire cet état 

Un chat noir étendu dans l’unique flaque de lumière chaude de la pièce 

Le monde s’abstiendra de s’effondrer là 

Fêlure

The Cave of Altamira source image

La nuit sombre

jusque dans le jardin

l’échine d’un taureau sue

la colline caressée par la brume 

jusqu’à l’extinction de la croupe

la corne de l’animal comme une lune disparue

en mer en silence

il ne reste que quelques étoiles

pour grignoter le ciel quand soudain

le félin feule en bondissant de la fenêtre

qu’un trait de lumière avait laissée entrouverte 

L’espoir

Le jardin a longtemps cru

en un retour du printemps
sans passer par l’hiver.

Aucun feuillu ne s’est dépeuplé.

En passant par une floraison timide

il en est un qui a conçu des fruits

le poirier.

Le premier à comprendre fut le figuier

c’est que cette année exceptionnellement 

il avait produit à deux reprises

tellement de figues qu’il était fatigué.

Les autres se sont fiés à ceux qui jamais ne perdent 

toutes leurs feuilles en même temps

si bien que quand elles se renouvellent

on le remarque à peine.

Sur le poirier une dizaine de nouaisons

et un peu plus tard des poires rougeoyantes

parfaitement formées mais sur lesquelles

il n’y a presque rien à manger.

Un coeur autour de quelques pépins!

Que dire de ceux qui ne s’habituent pas!

Hier, la neige est tombée en quelques flocons 

sur une cime très éloignée

mais le vent a transmis la missive anonyme et froide .

Qui vit au large

“Volume Project…” by Kincső Tóth- source de l’image: **

Il pose ses doigts sur mon poignet

pour prendre le pouls
mais rien

peut-être n’ai-je plus de coeur

fondu comme un sucre dans la boisson chaude des larmes

mais non

il est là cet organe incontrôlable

à  débattre seul en sourdine 

dans le néant abyssale du corps

Arborescent

à Bertrand

source image

tu n’as pas encore rendu les feuilles comme on rend les armes

c’est que tu entends la pluie raisonner en toi

la toile de cette lumineuse araignée

tu ne peux empêcher ton âme de gonfler ses voiles 

même si grince l’écorce de ton tronc tu te prononces 

en tellement de syllabes fluviales 

ta voix rauque au bord des larmes chante que

depuis un temps lointain depuis presque toujours

tu es perdu

tu as peur

tu as honte

de ses ombres si peu sauvages

dans lesquelles jamais tu ne reconnais un regard

un seul mot lent trop lent reste seul à ta portée

dans ce monde qui te presse de perdre

Forêt

© Bertrand Elsacker

Dans la forêt d’eucalyptus il n’y a plus personne

quelques pins et leur broderies d’aiguilles 

un silence d’écorce et parfois quelques plumes

la cime sert de nid au milan

il miroite au soleil parmi mille feuilles

éclaboussées par le soleil

Aujourd’hui on entend la mer

filtrer la lumière

avant de se mélanger aux saveurs automnales

du maquis 

À tous les silences

©Tomohiro Inaba source image:Artistaday

L’eau était glacée

mais

c’était ça ou la mort

mais

la mort a plongé aussi

mais

elle n’avait pas froid

n’avait point peur

elle aboyait

je suffoquais

ils ont signalé

que

j’avais franchi la frontière la démarcation 

et

que

j’étais libre sauvée

mais 

ils ont  malgré tout tiré

et  après

 donné

ma dépouille aux chiens à leurs aboiement leurs dents

ma carcasse à la forêt, à ses croassements, à sa bouche édentée

à tous les silences 

Éteint

Son âme toujours revient
brouter près de la mienne

son doux museau ses lèvres

ses naseaux prêt à aspirer l’air

d’un galop

il n’est jamais fantôme 

ombre refroidie par l’absence

un lacet de rivière noire

pourtant nous sépare

j’ai peur de l’avoir abandonné

cette unique fois où il avait besoin de moi

si seulement ce mot n’existait pas

mort

Héliophile

Bubble © Brian Bonham

Quelques billes de verre se heurtent les unes aux autres

celles que j’appelais oeil de chat

quelqu’un les égoutte entre les doigts

sur les troncs roucoule une source fantôme transformée en ombre

veloutée

un vulcain un machaon un flambé et quantité affolante de piérides de cuivrés d’azurés

La carte géographique

et puis celui qui est comme le plus petits des colibris

répondent chacun à l’appel ciblé d’un parfum

que dire d’elle

la seule qui à la nuit tombée choisit de se poser

ailes ouvertes sur l’incompréhensible transparence

d’une fenêtre fermée autour d’un soleil doux

apeuré 

nymphe nacrée teint de lune argentée elle 

choisit presque toujours la nuit pour apparaitre