
Je pars. Il pleuvine. J’empreinte le même chemin que les asphodèles et les immortelles. Il longe lentement un jardin oublié où vivent en toute liberté quelques jeunes oliviers. Personne ne récolte plus leurs fruits, personne pour les abreuver ou les tailler, ils poussent comme ils peuvent.
Plus loin le chemin disparaît dans la végétation. Désormais pour avancer, il me faut écarter les branches, enjamber les touffes foisonnantes d’herbes odorantes, éviter les épines des buissons. Je marche en mesurant mes pas, en faisant le moins de bruit possible. Bruits d’ailes, froufroutements tout autour de moi me signalent des présences volatiles. Souvent, je me pose afin d’entendre le bruit de bruine sur les feuilles. J’observe la lente naissance d’une goutte à la pointe d’une feuille. Parfois je tends mon visage au ciel comme pour le laver, le défaire de son masque trop humain grimaçant. J’aimerais n’être plus un hominidé tel qu’il en passe par ici depuis des milliers d’années. J’aimerais avoir les sabots à deux doigts et l’équilibre étonnant d’un chamois. Je poursuis jusqu’à ce que j’arrive à la veille maison en pierres. Toutes les fenêtres ont été murées, les portes condamnées. Près du toit, il reste une ouverture d’où l’on me regarde sans doute depuis fort longtemps avancer où plus personne ne vient. C’est un milan royal, il s’élance, il s’éloigne, il surveille son territoire en faisant de larges cercles dans le ciel. Il semble vouloir m’éviter mais je l’appelle en sifflant. Toujours porté par le vent, il s’approche, descend, me regarde, me survole un temps. Le temps d’admirer son plumage, son oeil fier, son envergure. Il disparait dans le ciel. J’ai envie de me joindre à la pureté qu’il vient de me révéler: le sommet. Je poursuis l’ascension, croquant au passage les parfums variés de la lavande stœchas, du lentisque, de la bruyère, du myrte. L’humide odeur de la terre, de la roche. J’entends les rires de l’eau qui ruisselle. Après bien des efforts, je rejoins l’endroit où il y a très longtemps on rassemblait les troupeaux, un abri dans les rochers témoigne du lointain passé où en hiver, il fallait bien s’abriter et faire le feu. Je grimpe plus haut et je ris car j’ai pour la première fois de ma vie, la sensation de voir le monde dans sa globalité: la mer et sa merveilleuse maison le ciel. Je ris car j’ai enfin le loisir du choix: laisser venir les humains ou les fuir sans qu’ils n’en sachent rien. Regarder sans rien porter sur les épaules, voir sans subir d’être observé et jugé. Voir démesurément. Je reste quelques longues heures, allongé sur le plus haut rocher, suspendu aux nuages.
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TB cette promenade mystique !